- Carogne si ça se trouve, c'est même la plus grosse à avoir jamais taquiné de la moniche ! Hegel s'esclaffa et un filet de bave alcoolisée maquilla son épaisse barbe noire. Son frère le bouscula d'un coup de coude dans les omoplates, bien décidé à lui faire payer ses insinuations crapuleuses. Ils étaient taillés dans le même bois mais Manfried dominait son jumeau de quelques centimètres, et sa crinière hirsute juste éclaircie d'une rouflaquette au niveau du front lui conférait une allure bestiale qui seyait à son caractère de répugnant verrat. S'ensuivit une joyeuse bagarre dans la boue, car les deux frères n'aimaient rien tant que la chicorne, pas même la jouissance du vit. Ils ne cessèrent leurs ébats virils que lorsque l'obscurité fut complète et qu'il fallut raviver les braises. Comme tous les braconniers, ils se méfiaient du leu qui ne manquerait pas de rôder près de leurs conils. Bien plus que des brigands d'ailleurs, qu'ils considéraient comme de lointains parents, le bon sens leur dictant qu'ils n'étaient pas les seules crapules immaculées que leur souillon de putain de mère avait engendrées ici bas. - Ouais-da, c'est que des connes jectures et tu le sais. On peut pas se fier à ce fouteur de chèvres même si icel en a pas l'air. - Pouah ! Viens donc t'asseoir à ma dextre au lieu de questionner comme un culturé. Hegel extirpa une flaque de geuse de sa cuirasse, et Manfried concéda qu'il valait mieux s'économiser le gosier pour l'art de boire et laisser icel de plaider aux plus freluquets. Alors qu'ils commençaient tout juste à s'assoupir, les pleurs d'un nouveau né les réveillèrent en sursaut. L'un l'autre se regardèrent d'un air nigaud tout en papillonnant des mirettes.

Ce fut Manfried qui trouva le trouble fête emmaillotté dans ses langes, aussi rouge que le derrière d'un goupil ou d'un coq. Il pointa le braillard d'un doigt accusateur, murmurant d'une voix de prophète altérée par l'alcool. - Pour sûr que c'est le rejeton d'une nymphe pour jérémiader comme ça près d'un lac. C'est-y Elrond qui m'a dit que son oncle avait un voisin qui avait eu de la pitié pour le fiston d'une fée. Vrai que ça y a porté malheur au pauvre homme. - Qu'est ce qu'il est devenu ? - Ca il a rien dit, mais sûr que ça doit pas être jouasse. Tandis qu'ils parlementaient à bonne distance de l'enfant, les deux frères observaient le paquet miraculé d'un oeil empli de curiosité. Ni l'un ni l'autre n'avait jamais approché cette espèce de près, et tous deux se demandaient silencieusement de quel bois pouvait bien être fait cette bête là. Il fut décidé qu'on pouvait y regarder sans craindre une quelconque malédiction, et que rien ne pouvait arriver si tant est qu'on gardait ses paluches le long du corps. Hegel se porta volontaire pour l'inspection, et la surprise éclaira son visage tanné comme du cuir lorsqu'il s'exclama d'une voix rauque: - Fichtre, c'est une pisseuse ! La superstition voulait que les fées n'engendrassent que des mâles, aussi les frères Faylinn décidèrent que l'enfant devait être icelle d'un paysan. Il était connu que les croquants venaient au lac pour noyer les greffiers, et leur esprit simpliste n'eut aucun mal à se convaincre qu'un bougre eut tenté de faire une pierre deux coups en se débarrassant ôssi d'un bâtard. Quoi qu'il en soit le couard avait filé dard...

Tandis qu'ils remontaient le sentier qui menait au village, les deux frères s'essayaient à réfléchir. Si leur piété avait été aussi haute que leur superstition populaire, nul doute que l'histoire eut été résolue dans l'heure et qu'ils auraient porté l'affaire aux prêtres avant de s'en retourner. Mais leur méfiance pour les hommes de dieux était au moins égale à celle qu'ils vouaient aux fouteurs de chèvre, et l'un comme l'autre avait davantage l'expérience de la taverne que du temple. S'ils prêtaient volontiers crédit aux gens de leur espèce, il n'en allait pas de même pour les bigots ou les étrangers. Ces "esprituels" là parlaient une langue qu'ils n'entendaient pas, aussi fut il convenu qu'ils se chargeraient eux même de la chose, et que cette bonne action ne manquerait pas d'effacer leur ardoise auprès des bons dieux si bons dieux il y avait. L'enfant grandit pour devenir une belle jeune femme à la chevelure blonde comme le blé mûr des moissons. Sans doute aurait elle attiré bien des fiancés si son tempérament eut été plus pondéré. Mais Loreleï était une Faylinn dans l'âme, et féline elle resterait jusqu'à sa mort. Seules son ingéniosité et sa vivacité d'esprit attestaient d'une plus grâcieuse naissance.

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Loreleï poursuivait sa course folle dissimulée par les trainées blanches d'un brouillard surnaturel. Son visage écorché par les ronces était emprunt d'une infaillible détermination, et la panthère ne ralentit pas lorsque la botte du cavalier effleura sa robe en lambeaux.  L'épais nuage de poussière qu'il soulevait en galopant s'alliait aux brumes vaporeuses pour la préserver de sa lame. Elle ferma les yeux pour mieux reprendre son souffle. Si elle parvenait à atteindre les flancs rocailleux de la montagne, son poursuivant serait forcé d'abandonner sa monture. Forte de cet espoir fol, Loreleï reprit sa course effrénée en direction du nord. Elle ne pu qu'entrevoir l'arbre déraciné qui obstruait la route pour signer sa défaite. La chute fut douloureuse, retentissant comme mille échos dans le caveau de son inconscience. Ses os craquèrent à l'intérieur de sa maigre carcasse tandis qu'un filet de sang perlait au coin de ses lèvres entaillées par les rocs. Une seconde, elle cru distinguer le visage du cavalier dans un kaléidoscope de couleurs indistinctes. Puis les ténèbres la parèrent d'un voile d'oubli anesthésiant.

Lorsqu'elle s'éveilla le sentier avait disparu, cédant place au baraquement de quelques brigands aménagé sur le versant de la falaise. Une femme était agenouillée à son chevet, employée à éponger le sang qui suintait de ses plaies. Elle tenta de se redresser mais retomba mollement sur la paillasse. On lui avait ôté ses vêtements pour mieux soigner les éraflures qui barraient sa poitrine haletante. La jeune femme serra les dents, tâchant en vain de se remémorer le fil des évènements. Une main douce se posa sur son front l'enveloppant d'un cocon de chaleur qui la fit renoncer. Elle se sentait subitement très lasse, comme si la fatigue affluait de ses veines à son coeur pour lui ôter toute résistance. La main se retira délicatement, et la jeune femme plongea dans les bras de Morphée bercée par le murmure indolent d'une prière.