Âme vagabonde ► ODE

Les lettres rondes remplissaient la missive, délivrant l’annonce de prochaines retrouvailles. Cette pensée fit sourire le chevalier. Il n’avait pas oublié les yeux clairs de la jeune femme, ni les moments passés ensemble à visiter Heledir à ses côtés, ni les nuits passées dans la même chambre. S’il lui arrivait d’oublier le visage d’une de ses conquêtes, il n’avait pas oublié celui d’Ode. Au contraire des courtisanes de la cour, elle avait le charme sauvage et exotique que l’on attribue aux personnes d’une autre culture. Surtout, ils retournaient l’un vers l’autre quand ils en avaient la possibilité. C’était une relation sans amour, à part peut-être l’amour du plaisir. Ode avait depuis longtemps prouvé son attachement pour sa liberté et sa volonté d’être indépendante de tout homme. Ahmir partageait son envie d’indépendance mais depuis quelque temps, c’était une jolie blonde qui avait ses faveurs. Elle hantait ses pensées depuis cette fameuse nuit où ils s’étaient rencontrés. Il n’attendait que de la revoir pour lui parler. Il se voyait faire sa vie avec elle : avoir des enfants, se marier. Il y pensait par envie et par devoir. A trente-deux ans, il se devait d’avoir des héritiers. Fille ou garçon, peu lui importait. Il faudrait en tout cas un enfant pour s’occuper des terres que lui légueraient ses parents. Ahmir enroula la lettre et la rangea dans un tiroir de son bureau. Il l’avait ressortie afin de s’assurer que la date était la bonne. Ode devait passer à Calendyr aujourd’hui. Il en était maintenant certain.

Il retira son armure, jugeant inutile de se promener avec et ne garda que ses tuniques. Il ne risquait rien. Il était un homme aimé et respecté. Il n’allait pas se promener aux côtés d’une personnalité royale mais juste d’une voyageuse. Il garda tout de même son épée dont il ne se séparait jamais. L’expérience lui avait enseigné la méfiance et la prudence. Il ne cessait donc de se promener avec. Il quitta la tour dans laquelle il habitait pour les écuries. A son approche, il vit un écuyer s’approcher, tirant un cheval derrière lui. « Ser Thoron, votre cheval est prêt. » Ahmir fit le tour de de l’animal, passant la main dans ses crins bruns. Il vérifia la selle. Il avait confiance en ce futur chevalier mais savait combien une chute était vite arrivée avec une selle mal attachée. Il flatta les naseaux du cheval qui lui répondit en remuant la tête. Son cheval était important. Lui accorder l’attention et une bonne santé étaient primordiales étant donné qu’il l’emmenait partout où Ahmir souhaitait aller. Quand il eut fini son inspection, il esquissa un sourire en direction de l’écuyer et récupéra les rênes. « Parfait. Je te remercie, Eldwyn. » Le visage du garçon s’éclaira. Ahmir se rappelait l’effet que lui faisaient les compliments quand il était encore écuyer. C’était toujours une fierté. Le gamin s’inclina et repartit vers les écuries, laissant Ahmir s’installer sur la selle.

Le chevalier enfonça ses talons dans les flancs du cheval qui s’élança à travers la capitale. Il se fraya un chemin à travers les gens du peuple qui vaquaient à leurs occupations. Il s’enivra de l’activité de Calendyr. Où il passait, des paysans moyennaient leur récolte de la semaine, d’autres interpellaient les passants en leur vantant les qualités de leurs poissons. Il fit ralentir le cheval, le temps de profiter du moment. Ahmir disait volontiers préférer le calme à l’agitation de la capitale, ce qui était vrai. Cependant, rester trop loin de Calendyr serait l'arracher de sa ville natale. Il y était attaché et ne pouvait s’en défaire. Lorsque le plus gros de la foule fut passé, Ahmir accéléra la cadence. Il prit la direction des portes ouest de la ville d’où, il supposait, Ode arriverait. Il eut tôt fait de quitter l’enceinte de la capitale. Là, il s’arrêta, descendit de son destrier et l’accrocha à un tronc d’arbre. Il n’avait plus qu’à prendre son âme en patience. Il n’avait aucun moyen de savoir où Ode était à cet instant précis. Si cela se trouvait, il attendrait encore des heures avant de voir son corps se dessiner au loin. Il s’installa à même l’herbe, s’adossant à un rocher. Il étira les jambes devant lui et se mit à retirer de l’herbe de la terre, la découpant en plusieurs morceaux, afin de passer le temps. Avant qu’il ne voie Ode arriver, il vit passer de nombreuses personnes. Des fermiers avec leur famille, des hommes solitaires qui revenaient d’un long voyage, des chevaliers qui trainaient derrière eux quelques bandits attrapés dans d’autres villes et qui attendaient le jugement du roi.

Il accueillit chacun d'eux avec un hochement de tête, parfois quelques paroles lorsqu’il s’agissait de connaissances. Il se tourna vers le chemin emprunté par tous ces voyageurs. Là-haut, il aperçut une énième silhouette se dessiner devant le soleil. Au fur et à mesure qu’elle se rapprochait, Ahmir l’identifia comme étant une femme. Et combien de femmes voyageaient seules, dites-moi ? Le chevalier se releva et s’épousseta. A son approche, un sourire se dessina sur le visage du chevalier. « Dame Ode, je vous attendais. » Elle n’avait pas changé depuis la dernière fois. Elle semblait juste avoir les traits tirés par la fatigue et le voyage. Même avec cela, elle était encore auréolée de mystère. En réalité, elle n’était que secrets. Tout en elle transpirait et respirait le mystère. « Avez-vous fait bonne route ? »

❝ My heart is saying that I'm so far from you ❞
AHMODE Ma liberté je ne l’associe qu’à mon indépendance. Je n’ai pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Les hommes, ne sont même pas plus forts que nous, les femmes. Vivre seule, me convient totalement. Ils peuvent simplement servir pour nous protéger, lorsqu’on n’aurait pas un de fatigue nous concernant. Ma petite cabane, je ne la dois qu’à moi. Ma vie à Heledir aussi. Les gens ne semblent pas vouloir me connaitre plus que ça. Tant mieux. Moi non plus. Bien qu’au fond, je les connais très bien. Souvenez-vous de ça : les plus discrets sont ceux qui en savent le plus. Ca en fait d’eux les plus dangereux. Oui, je me considère un peu dangereuse, surtout en ce qui concerne ce royaume pour lequel je n’affectionne aucun réel sentiment. Tout n’est que mensonge. Enfin de compte, ils ont surement raison de ressentir de la peur envers moi. Mais pas ce pour quoi ils pensent. Ressemble-je réellement à une sorcière ? Non, vraiment quoi. Une pirate, j’accepterais mieux. Ils auraient raison.

Il m’arrive souvent de réfléchir. Réfléchir à un tas de choses, utiles ou non. Tenter de me souvenir qui je suis. Penser à ce pauvre prince qui pense réellement que je peux l’aimer. Réfléchir à ce que je souhaite faire de ma vie. J’aimerais avoir un enfant, plusieurs même. Mais comment le faire, alors que je suis une femme à hommes ? Non seulement je souhaite avoir des enfants, mais je souhaite aussi avoir un père pour eux. Ainsi qu’un royaume, comme le prince aura, lorsque ses parents mourront. Je ne mens que pour ça. Par intérêt. D’ailleurs, pour sortir du royaume, et faire ce petit voyage, j’ai du lui en dire encore un : de mensonges. J’étais partie à l’aube. Espérant qu’Ahmir ait reçue ma petite lettre le prévenant de mon arrivée. Je ne savais même pas pourquoi je me rendais pour venir le voir. J’en avais besoin. Besoin de sortir d’Heledir, et voir une personne qui ne me prend pas pour… enfin pour une folle en quelque sorte.

J’en avais eu du temps pour réfléchir, sur ce long chemin. Mes jambes m’avaient forcé à m’arrêter de temps en temps. Deux fois, pour être précise. Une fois, pour manger. L’autre, pour une petite sieste. Je n’avais aucune peur à être là, seule. Mon petit couteau, caché dans mes dessous, me suffisait pour me défendre au besoin. Tout au long du voyage, j’avais croisé plusieurs animaux. Enfin de compte, je n’étais pas si seule que ça. Ce n’était qu’au début de la nuit que je vis au loin les lumières de Calendyr. Je ne le montrerais pas, mais j’étais plutôt heureuse. Fière d’avoir fait ce voyage seule, et d’y arriver saine et sauve. La dernière question restait celle de savoir si l’on m’attendait. Et si ce n’était pas le cas, que ferais-je ? Enfin, je vis Ahmir. M’attendant. Ou du moins, j’espérais que ce soit moi. C’était le cas. « Vous êtes fort sympathique, sir. » lui répondis-je avec un petit sourire. Un sourire qui lui voulait reconnaissant de m’avoir attendu. Je ne savais même pas depuis combien de temps il m’attendait, mais au vu de ses jambes, et de sa silhouette, ça faisait pas mal de temps. « Ce fut agréable oui. » Je le regardais, et rajoutais « Merci de demander. » C’était la deuxième fois que je venais ici. J’espérais que cette seconde visite me plaise tout autant que la première. Ahmir se devait de me faire passer un bon séjour. Tout comme je l’avais fait, lors de notre rencontre. « J’espère que vous ne m’avez pas trop attendu. » Je l’avais prévenu de mon jour d’arrivée, quant à l’heure, je n’avais pas pu être précise. Et j’en étais désolée.

âme vagabonde

Dès l’instant où ils entreraient au château, les rumeurs se mettraient à proliférer tel un virus. Ahmir fréquentait la cour depuis tout petit et connaissait maintenant son fonctionnement. Il s’en amusait même parfois. Lorsqu’il était jeune, il avait essayé de lancer quelques commérages et avait été plutôt fier d’entendre quelques-unes d’entre elles dans la bouche de courtisanes. Ainsi, la cour a cru pendant un temps que la reine avait un chien qui sautait sur sa jambe tel un animal en rut dès qu’elle entrait dans une pièce ; que le cheval de la Main tenait sa docilité de la peur des coups de fouet. Ahmir était trop jeune pour imaginer que ses blagues pouvaient blesser les personnes concernées mais de toute manière, personne ne savait jamais qui lançait les rumeurs. Il s’était senti à l’abri. Aujourd’hui, avec vingt ans de plus, Ahmir avait conscience du tort des commérages. Cependant, cette période de son enfance lui avait appris à se méfier, à vérifier et surtout, à savoir comment lancer une rumeur. Cela lui sera bientôt utile, il en avait le certitude. Il se doutait donc que dès l’instant où il arriverait avec à son bras une jolie jeune femme, la cour spéculerait. Il s’était donc préparé à toutes les versions. Une maîtresse, une fiancée, une catin, un voyageuse sur laquelle il était tombé, une veuve noire. Et encore, il n’avait pas imaginé la réputation qu’ils pourraient donner à Ode. Les gens pouvaient être méchants au possible quand ils s’y mettaient. Quoiqu’ils disent, Ode serait au-dessus de cela. Elle se fichait de ce que l’on pouvait dire d’elle. Tout ce qui importait était ce qu’elle pensait d’elle-même.

Ahmir était content de revoir Ode. Elle était toujours d’une agréable compagnie. « Vous êtes fort sympathique, sir. » Il esquissa un léger sourire. Venir à sa rencontre lui avait semblé naturel. Elle se déplaçait peu jusqu’à Calendyr. Elle méritait d’être accueillie convenablement. Elle avait rendu son séjour à Heledir des plus intéressants. Il y avait découvert une amante et une guide d’exception. Ahmir s’enquit des conditions de voyage de la jeune femme. Voyager seule lorsque l’on était une femme pouvait être difficile. Les voleurs étaient nombreux sur la route, s’attaquant aux plus faibles et aux femmes. S’il l’avait pu, Ahmir aurait souhaité l’accompagner durant la fin de son voyage. « Ce fut agréable oui. Merci de demander. » « [color:42f0= #217166]Vous m’en voyez ravi. » Il s’éloigna de la voyageuse, retournant vers son cheval qu’il détacha de l’arbre. Il ne doutait pas qu’Ode s’était débrouillée pour se départir des personnes encombrantes. La route était tout de même longue et éprouvante. Il la trouvait courageuse de partir à pieds et d’effectuer dans ces conditions plusieurs jours de marche. Il retourna auprès d’elle. « J’espère que vous ne m’avez pas trop attendu. » « L’attente n’est jamais longue. » En devenant chevalier, il avait appris à rester sans rien faire pendant de nombreuses heures, à simplement surveiller une porte ou à attendre que l’on ait besoin de lui. C’était un temps qu’il mettait au profit de réflexions personnelles et politiques. Parfois, il n’y avait rien de mieux que quelques heures à réfléchir pour trouver une solution.

« Je vous en prie, prenez mon cheval. » Elle avait assez marché pour aujourd’hui et lui s’était assez reposé en patientant assis. Ce serait manqué de courtoisie que de monopoliser un cheval alors qu’il n’en avait pas le besoin. Peu après, ils entraient dans la capitale où l’animation se tarissait, laissant la place au calme de la nuit. Bientôt, les rues seraient visitées par des hommes en recherche de compagnie ou de larcins. Un groupe d’enfants passa devant eux, ils marquèrent un temps d’arrêt. La curiosité brillait dans leurs yeux. Une femme accompagnée d’un chevalier et d’un cheval était assez curieux. Ils devaient s’imaginer que la Dame était une femme importante ou en tout cas, de haute noblesse. Ils finirent par disparaitre de la route pour s’enfoncer dans une ruelle. Ode et Ahmir purent continuer leur route. Le chevalier les regarda s’éloigner. Il se méfiait quelque peu. Les chevaliers essayaient de garder le calme et la sécurité dans la capitale mais ils n’étaient pas infaillibles. Il resterait toujours des personnes pour s’en prendre à d’autres. « Je vous ai fait préparer une chambre au château, si cela vous convient. » L’avantage d’être chevalier d’honneur et d’être le cousin du roi était de pouvoir inviter les personnes de son choix. Il était rare qu’Ahmir use de ce droit mais il était content de le faire pour Ode. Il se tourna vers Ode, dans l'attente de sa réaction.

FICHE ET CODES PAR BROADSWORD.