]Éprouvante entreprise que celle de voyager. Depuis quelques jours intégraux, chevaucher sur les routes tantôt ombrées, tantôt criantes de soleil n'avait plus aucun secret pour la caravane qui voyageait au travers du pays Thoron. Au terme de ce périple tout terrain se dresserait bientôt l'objet de toutes les controverses, l'Empire dans toute sa magnificence, la splendeur incarnée. Sur la route, la caravane ne s'était point arrêté et lorsqu'on était fatigué, on se faisait conduire. Du moins, la richesse se faisait conduire, pour quelques serviteurs, le fouet était l'ami des dormeurs.

Un voyage de Messire la Main était prévu en amont, on devait y faire quelques hâtes obligatoires, "le Roi pense a vous, pensez à lui" aurait pu faire quelque slogan magnifique quand bien même l'Imprimerie aurait pu sévir et en faire quelques milliers d'exemplaires, placardées sur de nombreuses petites maisonnets, celles des paysans qui vivaient dans la campagne, sans prendre connaissance d'importantes nouvelles. Qu'un Roi chia ou qu'un autre fut atteint d'un mal incurable, les habitants isolés n'avaient que faire. L'état du bétail et des plantations seulement étaient quelques informations d'importance capitale.

Budir Valam, chevalier de son état mit enfin pied à terre. Au terme de quelques jours de voyage, il était tout bonnement exténué. Bien qu'il eut l'habitude des chevauchées de guerre, celles des traversées politiques n'avaient rien, mais alors vraiment rien d'agréable. On s'y rendait bon gré mal gré pour y mener quelques courbettes, pour s'assurer du bon suivi de Ses Ordres. Pas ceux de Budir non, ceux là n'avaient que peu d'importance quand sa Royale Bêtise venait à s'exprimer. Le Chevalier Lion comme on lui en prêtait le surnom à la Capitale expédia son écuyer personnel aux écuries avec sa blanche monture puis se dirigea vers un autre cheval. Plus en retrait celui-là.

Il s'agissait d'un autre cheval blanc, un étalon bien monté. Dans les deux sens de ce terme si peu agréable. Au dessus était installé une jeune blonde. Sa seconde épouse. Oui. Même si la politique était barbante, il s'était rendu coupable du crime magistral, sa femme était inclue dans ce qui semblait escapade politique. «Si Ma Dame veut bien se donner la peine. Je vais renvoyer le cheval aux écuries et nous faire offrir ce que la Main est en pouvoir d'exiger. » Il lui déclina un petit sourire, lui tendit la main et lorsqu'elle fut à terre, bien loin de l'étalon qui s'éloignait, il reprit la parole. «Des appartements et un banquet !  »

La Main du Roi resta quelques secondes. Devant lui, la ville de Lugan se dressait. De tout Elenath, c'était sans nul doute la plus belle des contrées. Alors que la Capitale sentait la merde et la chaleur  toutes les heures du jour et de la nuit, Lugan était prospère, belle et quelques fleurs emplissaient l'air de parfums délicats. «Ma Dame, voici peut-être ce qui est, de mémoire d'Homme, la cité la plus belle de tous les temps. Lugan rayonne presque autant que vous, sans bien sûr, jamais vous égaler. . » Son écuyer revint. Ce dernier était bon écuyer, trop bon peut-être. Surement voulait-il être adoubé. Mais la chevalerie était un art que la Main ne voulait imposer à personne. Aux autres d'avoir le soin d'adouber qui ils voulaient. De son état, lui, il n'adouberait personne.

Il lui fit le message d'aller mander le gouverneur de la cité. A l'entrée, menaçants comme il pouvait l'être, les gardes tenaient les portes closes.


Quelques heures plus tard, nu comme un ver, Budir plongea enfin dans le bain le plus chaud qu'il avait eu depuis bien longtemps. Fatigué, s'endormant presque, il fut réveillé par les claquements secs sur la porte. Ils étaient conviés, son épouse et lui au banquet du gouverneur. Vêtu d'une simple tunique claire, d'un beige parfait, il regarda sa jeune femme. «Allons satisfaire les ardeurs d'un gouverneur mal-baisé. »
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Ces soirées affreuses. Ces soirées vomitives. Ces soirées où il fallait montrer joie de vivre et banquet de convenue. Soirées maudites où les sourires n'étaient que des façades. C'était dans ces sourires là que l'avenir du Royaume se jouait à chaque fois. De la mauvaise idée à la révolte, il n'y avait qu'un moindre pas. Celui du souffle. Il suffisait que d'un côté ou de l'autre, le parti soit pris d'une quinte de toux et pouvait alors s'embraser l'émotion d'un peuple tout entier. A sa convenance alors de faire une bouchée de pain du Royaume dans sa totalité.

Même si le gouverneur de Lugan n'avait aucune envie de révolte, même si le voyage n'avait aucun but de tarrissement d'une éthnie dérangée ou d'une partie du peuple bafouée, Messire la Main du Roi savait qu'il était un perpétuel jeu que celui de la politique. Même quand on ne pensait pas y jouer, on devait sans cesse y faire attention et cela devait parfois passer par de beaux discours bien trempés, des sourires évoquateurs et des longues heures à se bourrer la panse comme un affamé. Il fallait donc affreusement réfléchir à comment s'y prendre. Manger peu ou trop étaient des signaux différents. Si l'on mangeait pas assez, l'hospitalité n'était alors pas même respectée et si l'on mangeait de trop, on avait de nous l'impression d'un avare qui avalerait les autres comme les oiseaux, les poulets et autres mets proposés à la dégustation.

La Main du Roi ne supportait plus que très peu les grands soirs de fêtes, la seule chose vraiment qui le lui faisait encore apprécié, c'était les distractions. Qu'il soit fou ou ménestrel, le divertissement avait toujours de quoi l'amuser. Plus encore lorsqu'il s'agissait de gens qu'il ne côtoyait pas à la Cour de Barahir.  Qu'on lui fasse ouïr nouvelle chanson ou profiter de nouveaux gags de tous les genres, tantôt réfléchis tantôt stupides, il avait toujours cette soif d'amusement et de découverte. Le calme avant la tempête certains auraient alors pu dire. Quelques observateurs auraient même pu y voir une énième manœuvre mais dans la plupart des cas, son amusement était sincère.
La Main, main à main avec son épouse s'avança en saluant les quelques convives présents. On pouvait y voir l'épouse du gouverneur, ses enfants, quelques hommes politiques de la ville et le gouverneur en personne.

Cet homme qui avait encore moins de pouvoir que quelques poux dans les cheveux d'un presque-chauve se prenait parfois pour un autre. Il se pensait surement enclin à prendre des décisions importantes et c'était tant mieux. Il fallait que la situation continue ainsi. Budir, chevalier, Main du Roi, Maître d'une future révolution avait besoin des bonnes grâces de l'homme. Lugan était d'une richesse sans bornes, surement plus encore que la Capitale elle même et c'était une citadelle difficilement prenable. Elle pourrait devenir très rapidement le fief des révoltés. Il avait besoin du gouverneur pour son armée également.
Mais pour cela, c'était une longue, très longue préparation a qui il faudrait faire face. Qu'on pense que cela ne serait pas fatiguant fut été la plus somptueuse des farces. C'était d'une complexité sans nom. D'un côté, le peuple qu'il fallait faire glisser vers la révolte, d'un autre côté les nobles à qui il fallait assurer la même dominance, la même richesse. Et cette guerre pour un Trône inexistant. Quatre Royaumes se faisaient des misères, et il fallait maintenant en faire entrer un en révolte interne. Le Sien.

Remettre le Roi légitime sur le Trône éviterait peut-être quelques batailles d'avance perdues. Barahir Thoron avait quelques défauts, son plus grand fut surement sa bêtise de jeune combattant. Il n'avait aucune idée de comment une guerre était censée se dérouler. Et la Main n'avait qu'à essuyer la merde que l'autre venait à expulser. Je suis la Main du Roi, je parle et j'agis en son Seul Nom. Quel stupide serment dont le jeune homme n'avait jamais suivi aucune ligne. Sauf peut-être "Je suis la Main du Roi" parce que cette position lui permettait une large panoplie d'agissements. Plus en tous cas que le paysan du coin qui n'avait déjà pas même pas de pognon pour faire vivre sa famille. «Quelle parade d'hypocrites. Quel sourire navrant que celui du gouverneur. Faux, tout comme ses enfants, quelques bâtards de sa Dame. » chuchota-il à sa jeune femme.

Ils s'approchèrent ensuite puis prirent place. Budir s'installa au bout de la table, la place de sa Majesté. Je suis la Main du Roi, je parle et j'agis en son Seul Nom. Il regarda sa dame, puis dans un autre murmure lui fit quelques autres confidences. «Cependant, n'oubliez pas Ma Dame, cet homme gras là est assis sans le savoir sur une armée et notre solution pour rendre le trône au Roi légitime. Celui qui me permettra tout . Tenter de lui faire croire qu'il est le meilleur et meilleur il sera. »

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