Le palais était en émulation, et, plus que ça, c'était la capitale toute entière qui se sentait prise de palpitations bien plus pressantes qu'à l'accoutumée. Le stress et la tension irradiaient de chacun. Les serviteurs couraient en tout sens, tout en tentant, au mieux, de feindre une allure qui n'avait absolument rien en commun avec celle des chevaux au galop. Ils tenaient sans doute absolument à ce que tout soit parfait et surtout, à ce que rien ne puisse leur être reproché. De son côté, le beau monde aussi se pressait. Ces gentes dames voulaient à tout prix être à leur avantage, quitte à ce que cela prenne des erreurs et même si cela devait relever du miracle. Ces sieurs galants tenaient, eux aussi, à être dans leurs plus beaux atours, jusqu'à ce qu'ils acquièrent allure, prestance et charisme. On se télescopait dans les couloirs. Fusaient de temps en temps quelques grands cris qui venaient prendre leur résonance dans les couloirs, et se faisaient à quelques reprises écho les uns aux autres. En passant devant les cuisines, on pourrait même entendre de la vaisselle se briser, quand, dans un geste précipité, deux marmitons se serraient rentrer dedans. Toute cette agitation, toute cette tension avaient une raison, même s'il est vrai que, parfois, les gens agissent d'une étrange façon pour pas grand chose.

Amras, ou plutôt Eulalie devrait-elle dire le roi Amras, recevait en ce jour une délégation venant tout droit de l'Empire Thoron. Aujourd'hui arrivaient le roi, la reine, et leurs plus proches. Eulalie n'avait pas demandé la liste exacte des invités, car tout ceci ne la regardait pas, et ne l'intéressait que trop peu. Elle n'était en rien à la tête de l'organisation de tels banquets, ni même à la tête de l'office des serviteurs. Leann semblait prendre son pied dans ce rôle là, à défaut, sans doute, de le prendre au lit. Ou plutôt de le faire prendre à son mari. Enfin ... Enfin, de toute façon, la chose qui préoccupait le plus Eulalie, et qui monopolisait presque toutes ses pensées en ce moment, c'était le simple fait de savoir que Satine était parmi les convives et hôtes reçus en ce jour. Son pendant à la cour des Thoron : une favorite royale, tout comme elle. Sa meilleure amie, surtout. S'échanger des longs courriers et se voir en face à face, en chair et en os, c'était quand même bien différent. C'était quand même tout autre chose. Dès lors, la favorite avait bien du mal à se concentrer. Elle sentait son cœur battre à tout rompre rien qu'à l'idée que, bientôt, elle allait pouvoir être en tête à tête avec la belle Satine. Elle n'écoutait que d'une oreille ce qu'on pouvait bien lui dire. Et elle s'agitait sans doute de toute façon un peu trop sur sa chaise pour qu'on puisse réellement croire que l'on pouvait obtenir, présentement, toute son attention. Elle n'avait qu'une envie, quitter cette table de banquet au plus vite. Parce que de là où elle était assise, elle ne pouvait apercevoir qu'avec grande peine la silhouette de Satine. Mais, dans le même temps, elle ne pouvait s'empêcher de jeter quelques regards à Amras, installé à la table principale, et perpendiculaire, au côté du roi Barahir et de Leann. De ces regards qui s'assurent à la fois que l'on ne vous oublie pas, plein de promesses, aussi, mais qui permettent également de s'assurer d'un moment d'inattention pour pouvoir filer en vitesse. Eulalie commençait en effet à grandement se lasser de la multiplicité des plats. De plus, cette sorcière de Leann l'avait tenue à l'écart, de par son placement des convives, d'Amras, de Satine, mais également d'Ariana. Et elle commençait à en avoir assez que ce vieillard de Duc, son voisin, lorgne sur son décolleté.

Alors, lorsque l'occasion se présenta, Eulalie s'excusa, avant de filer, non sans décrocher, alors qu'elle s'enfuyait discrètement de la grande salle, un regard empli de signification à Satine, désormais bien mieux visible une fois que vous vous mettiez debout. Quelques minutes plus tard, Eulalie pouvait enfin apercevoir la silhouette de Satine, qui s'avançait dans sa direction, quittant elle aussi la grande salle. Eulalie avait pris la peine de ne pas trop s'éloigner, connaissant bien mieux le palais que son amie, et refusant de la laisser se perdre. Ce serait là du temps en moins, pour elles deux, pour être ensembles. Cachée derrière un pilier, elle attendit que Satine soit suffisamment proche d'elle pour sortir de sa cachette, et lui poser une main sur le bras, un grand sourire épanoui aux lèvres, tout en prenant, dans la foulée, ses deux mains dans les siennes.

❝ Satine ! Comme vous m'avez manqué, Mademoiselle ! ... Depuis tout à l'heure, je n'arrivais plus à me tenir. J'ai même cru que j'allais émasculer mon voisin de table ... Et depuis que je sais que tu allais venir nous visiter, ou plutôt, que tu accompagnais le roi Barahir, je n'ai eu de cesse de compter les jours qui nous séparaient encore l'une de l'autre ! ❞